L’école de médecine coloniale, lieux et figures emblématiques

Contexte historique

À Marseille, presque tous les médecins qui ont œuvré dans l’empire colonial français sont passés par l’École du Pharo ; elle a été un facteur essentiel de la politique sanitaire dans les territoires colonisés.

L’ancienne école de santé militaire dite « école du Pharo », fut durant tout le XXe siècle un important centre de formation et de recherche en médecine coloniale puis tropicale. Ces bâtiments abritent aujourd’hui des services administratifs et universitaires. Seules une ancre et une discrète plaque rappellent leur vocation initiale, intimement liée à l’histoire impériale de la ville.

La santé dans les colonies tropicales françaises a toujours été principalement une affaire de médecins militaires. Sous l’Ancien Régime, des médecins, des chirurgiens et des apothicaires de la marine royale étaient en exercice dans les colonies. Durant le Consulat (1799-1804), est créé un « Service de santé colonial » de la Marine.

À la fin du XIXe siècle, la France de la Troisième République étend son empire colonial. La médecine est au cœur des enjeux coloniaux. D’une part, l’autorité administrative désire améliorer la santé des populations civiles locales à des fins de développement des colonies et d’une « mission civilisatrice ». D’autre part, des épidémies effroyables éclatent parmi les soldats (fièvre jaune à Gorée en 1878, dysenteries en Extrême-Orient entre 1859 et 1861, choléra au Tonkin entre 1884 et 1887, paludisme pendant la campagne de Madagascar en 1895, etc.). Ces maladies endémiques coûtent de nombreuses vies mais ne freinent pas l’expansion.

L’établissement à Marseille de l’École de santé coloniale le 3 octobre 1905 est formalisée par la promulgation du décret de création de l’École d’application du service de santé des troupes coloniales. La mission et la vocation de l’école sont de délivrer un enseignement pratique, encore plus que théorique, à des médecins et pharmaciens déjà diplômés, comme le précise le décret du 3 octobre 1905. Il s’agit de "donner aux médecins et pharmaciens aides-major de deuxième classe et aux médecins et pharmaciens stagiaires des Troupes coloniales, l’instruction professionnelle spéciale, théorique et surtout pratique nécessaire pour remplir les obligations du service qui incombent au Corps de santé des Troupes coloniales en France et aux colonies"...

De 1907 à 1914, l’école forme 258 élèves dont 241 médecins et 17 pharmaciens, alors que l’Empire colonial français comptait en 1911, 11 millions de km2 et 45 millions d’habitants. Les structures sont en place, mais le recrutement reste insuffisant, les carrières étant jugées peu attrayantes. Ceux qui choisissent de devenir médecin colonial le font à cause de leurs difficultés en métropole ou par vocation et esprit d’aventure. Beaucoup de médecins coloniaux viennent de milieux modestes (souvent de Bretagne) attirés par la gratuité des écoles militaires... La première guerre mondiale marque un frein important au développement de l’école.

Entre 1928 et 1932, la réorganisation de l’École et la construction d’un nouveau bâtiment à l’ouest du premier relance la dynamique de recrutement. Cette réforme transforme l’école en grand établissement supérieur spécialisé, avec de nouvelles disciplines : neuropsychiatrie (1928), ophtalmologie (1934), stomatologie (1935), radio-électrologie (1935). En 1936, son rôle pédagogique est complété par la création de laboratoires de recherche consacrés aux maladies tropicales et à la nutrition en zone tropicale. De 1945 à 1954, l’école forme 453 médecins, 56 pharmaciens et 19 officiers d’administration. C’est le retour d’une crise des effectifs, vraisemblablement liée à un avenir incertain et à une « crise morale » lorsque s’amorce la décolonisation. En 1954, l’établissement devient l’École d’application et centre d’instruction et de recherche du service de santé des troupes coloniales. En 1958, la transformation progressive des troupes coloniales induit leur changement de nom en troupes d’outre-mer. L’école s’adapte en conséquence pour devenir École d’application et centre d’instruction et de recherche du service de santé des troupes d’outre-mer. En 1961, les troupes d’outre-mer reprennent leur ancien nom du XIXe siècle, celui de troupes de marine. L’école devient alors École d’application et centre d’instruction et de recherche du service de santé des troupes de marine ; en 1970, l’École de spécialisation du service de santé pour l’armée de terre et institut de pathologie exotique. Contre toute attente, les décolonisations ont amplifié son importance, notamment auprès des gouvernements étrangers et des organismes internationaux. En 1975, l’école devient l’Institut de médecine tropicale du service de santé des armées. En juin 2013, l’École de médecine du Pharo ferme définitivement.

En 2013, les archives historiques de l’École du Pharo ont été transférées au Service historique de la défense (à Toulon). Le fonds d’ouvrages et de périodiques a été transféré à la bibliothèque centrale du Service de santé des armées (Val-de-Grâce, Paris). Une partie des fonds photographiques, présentés sous forme d’albums thématiques, et les fonds muséaux ont été transférés au Musée du service de santé des armées (Val-de-Grâce, Paris).

Approche critique

L’École du Pharo a constitué un élément central de l’appareil médical français et a longtemps été célébrée comme une institution pionnière dans la lutte contre les maladies tropicales et la diffusion du savoir médical en Afrique et en Asie. L’historiographie récente a profondément renouvelé cette approche. Loin d’être un simple centre de formation humanitaire ou scientifique, l’École du Pharo apparaît aussi aujourd’hui comme un rouage essentiel du gouvernement impérial. La formation des médecins coloniaux reposait sur des logiques qui ont parfois débouché sur des expérimentations sans consentement, des traitements de masse coercitifs ou des protocoles sanitaires inadaptés. La relecture critique de cette institution permet non seulement de mieux comprendre les logiques coloniales du passé, mais aussi d’interroger les formes contemporaines de coopération internationale en matière de santé.

Auteurs et autrices

  • CHABANI Samia

    Coordinatrice générale d’Ancrages, journaliste Diasporik

Bibliographie

Jean-Paul Bado, Médecine coloniale et grandes endémies en Afrique 1900-1960, Paris, Karthala, 1996, 432 pages

Camille Braesco, Former des médecins pour la brousse : la médecine coloniale à travers l’École du Pharo (1905-1939), Mémoire de master, Institut d’études politiques, Paris, 2017, 316 pages

Guillaume Lachenal, Le médicament qui devait sauver l’Afrique. Un scandale pharmaceutique aux colonies, Paris, La Découverte, 2014, 240 pages

Delphine Peiretti-Courtis, Corps noirs et médecins blancs, la fabrique du préjugé racial XIX-XXe siècles, Paris, La Découverte, 2021, 354 pages

Pour citer

CHABANI Samia (2025). “L’école de médecine coloniale, lieux et figures emblématiques”, Mars Imperium (http://marseille.marsimperium.org/l-ecole-de-medecine-coloniale-lieux-et-figures), page consultée le 7 décembre 2025, RIS, BibTeX.