La Compagnie algérienne, une banque au service de l’économie coloniale
Contexte historique
La colonisation française du Maghreb n’a pas seulement été une entreprise politique et militaire. Elle a aussi reposé sur un ensemble d’entreprises et d’institutions financières qui ont organisé l’exploitation des territoires conquis et leur intégration aux économies françaises et européennes. Dans ce dispositif, la Compagnie algérienne occupe une place centrale.
Aux origines : la colonisation foncière
La Compagnie algérienne a été constituée en 1877 à partir des actifs de la Société générale algérienne (SGA), fondée en 1865 par des hommes d’affaires parisiens issus de la Société générale (Paulin Talabot, déjà très présent à Marseille) et du Crédit foncier (Louis Frémy). Conformément aux objectifs du Second Empire, la SGA doit promouvoir la colonisation agricole sur des terres prises aux villageois (création de vastes domaines agricoles et forestiers ou location de parcelles à des colons), financer des infrastructures routières et ferroviaires, l’exploitation minière et faire des avances au Trésor. L’essentiel de son activité reste toutefois centré sur la colonisation foncière. Dès 1869, la SGA reçoit de l’État la concession en location longue durée – et à bas prix – d’une ensemble de 100 000 hectares pris dans le Constantinois. L’objectif est de relouer une partie des terres à des colons chargés de les cultiver, de créer des villages, d’édifier un système d’irrigation alimenté par un barrage et de promouvoir des plantations à partir des expériences réalisées dans le jardin d’essai qu’elle possède près d’Alger. Les débuts semblent difficiles puisqu’au moment de sa faillite, en 1877, elle n’a créé que 5 villages regroupant une vingtaine de fermes et 150 familles de colons. La SGA a toutefois contribué à modifier les paysages et les environnements traditionnels en plantant près de 70 000 eucalyptus en vue d’une exploitation industrielle et en participant à l’exploitation de mines de fer et de cuivre près de Boufarik, Alger et Oran.

Une banque au service de la colonisation du Maghreb
À la suite de sa faillite, en 1877, les actifs de la SGA sont repris par une nouvelle société – la Compagnie algérienne – contrôlée par la maison de banque parisienne Mirabaud. Comme sa devancière, la Compagnie algérienne commence par affirmer sa vocation foncière en exploitant elle-même ses domaines ou en vendant quelques terrains à des colons à qui elle fait des avances, notamment en semences. Elle élargit ensuite ses activités à des opérations immobilières en soutenant le financement de nouveaux quartiers dans les villes. Les prêts hypothécaires ruraux et urbains sont son cœur de métier. Portée par ce marché, elle met sur pied un réseau de guichets dans les principales villes d’Algérie et s’insère de plus en plus dans le financement des échanges entre l’Algérie et la France, en particulier depuis Marseille où elle a hérité de l’ancienne succursale ouverte par la SGA en 1869. L’ampleur de ses affaires l’amène à construire des docks et des entrepôts dans plusieurs villes du littoral algérien pour permettre aux colons de stocker leurs récoltes et d’obtenir des avances sur warrant, contribuant ainsi à l’essor d’une agriculture d’exportation tournée vers la France. Les activités de la Compagnie algérienne suivent les avancées de l’expansion coloniale française. Elle s’implante ainsi en Tunisie dès 1881 et au Maroc en 1906. Compte tenu de l’importance des échanges entre Marseille et le Maghreb, la Compagnie algérienne joue un rôle de plus en plus important dans le financement du commerce des céréales, de l’huile, des minerais, des bestiaux, des vins, des savons, du sucre raffiné, des engrais chimiques. Au fil du temps, son activité bancaire auprès du public s’affirme. Elle devient un des principaux établissements de dépôts du Maghreb, au coude-à-coude avec le Crédit foncier d’Algérie et de Tunisie (CFAT). Elle recueille les dépôts des colons, fonctionnaires et commerçants liés au Maghreb et entretien un flux permanent de capitaux entre les deux rives. Dans l’entre-deux-guerres, elle occupe le onzième rang des banques françaises par la collecte des dépôts, devant des établissements régionaux importants comme la Société marseillaise de crédit. La Compagnie algérienne est devenue un des instruments de la colonisation foncière et bancaire qui contribuent à inscrire le Maghreb dans un système d’exploitation économique transméditerranéen prioritairement tourné vers la France.

Emportée par le reflux colonial
Après avoir connu un nouvel essor au lendemain de la Seconde Guerre mondiale – plan de Constantine, boom économique des années 1950 –, la Compagnie algérienne est bientôt confrontée à la réalité de la guerre d’Algérie (1954-1962). Le départ massif des colons européens la prive de l’essentiel de sa clientèle et elle doit se réorganiser. À partir de la fin des années 1950, elle se transforme en holding financière parisienne et diversifie ses placements en France dans l’industrie, l’immobilier et l’énergie. Elle participe encore aux sociétés pétrolières d’Hassi Messaoud, mais son rôle en Algérie devient marginal. En 1960, elle fusionne avec la Banque de l’union parisienne (BUP) et disparaît comme entité autonome.
Approche critique
L’histoire de la Compagnie algérienne met en lumière le rôle décisif des institutions financières dans la colonisation. D’abord compagnie foncière spécialisée dans l’exploitation agricole et minière sur des terres prises aux populations colonisées, elle devient au fil du temps une banque de dépôts et d’affaires pleinement intégrée au système colonial français. Elle assure le financement de l’agriculture d’exportation, du commerce et des industries, tout en construisant un réseau transméditerranéen reliant l’Afrique du Nord à la métropole. Son destin révèle l’imbrication structurelle entre colonisation et finance. En ce sens, elle constitue un observatoire privilégié de l’économie coloniale française au Maghreb, comparable au CFAT ou à la Banque de l’Algérie. Loin d’être un simple établissement bancaire, la Compagnie algérienne a été un véritable levier de domination coloniale, dont la mémoire éclaire les logiques économiques de l’Empire français.
Le siège de la Compagnie algérienne, un patrimoine colonial oublié
Construit en 1919 par l’architecte Henri Ébrard, le siège marseillais de la Compagnie algérienne, situé au 17 rue Saint-Ferréol, est un bâtiment remarquable mêlant néobaroque et Art nouveau. Il abrita la banque jusqu’en 1960. En 2021, la rénovation du bâtiment par les groupes Sebban et B & O, pour accueillir la marque de prêt à porter Uniqlo, a rendu accessible au public la salle des coffres de la Compagnie algérienne, vestige d’une histoire coloniale longtemps méconnue. En 2024, dans le cadre des balades d’Ancrages, le projet Coffre-fort de l’empire a été mené par des étudiants de Sciences Po Menton avec l’historien Paul Max Morin, en partenariat avec Uniqlo, pour renouveler la plaque déjà présente et révéler ce lieu réinvesti (ancien coffre-fort devenu salon d’essayage). Ce travail collectif, soutenu par Alain Fresko, Emmanuelle Braud-Oppenheim et nourri par les Archives nationales d’outre-mer, a permis de mettre en lumière cet héritage matériel.
Auteurs et autrices
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CHABANI Samia
Coordinatrice générale d’Ancrages, journaliste Diasporik -
DAUMALIN Xavier
Historien, TELEMMe
Bibliographie
(2000). “La Compagnie algérienne levier de la colonisation et prospère grâce à elle (1865-1939)”, Revue française d’histoire d’outre-mer, 87(328-329), p. 209-230, doi: https://doi.org/10.3406/outre.2000.3814 (https://www.persee.fr/doc/outre_0300-9513_2000_num_87_328_3814), RIS, BibTeX.
(2025). Histoire de la Compagnie algérienne. De la colonisation au capitalisme, Maisonneuve & Larose/Hémisphères, Paris, RIS, BibTeX.
Pour citer
(2025). “La Compagnie algérienne, une banque au service de l’économie coloniale”, Mars Imperium (http://marseille.marsimperium.org/la-compagnie-algerienne-une-banque-au-service-), page consultée le 19 octobre 2025, RIS, BibTeX.