CANA, centre d’accueil des Nord-africains
Contexte historique
Le Centre d’Accueil Nord-Africain (CANA), créé en 1950 par décret publié au Journal Officiel du 11 juillet 1950, est initié par l’Association des Travailleurs d’Outre-Mer (ATOM) pour héberger temporairement et préformer les travailleurs maghrébins arrivant à Marseille, dans un contexte d’essor migratoire post-colonial. Opérationnel de 1952 à 1978, il répond à la demande industrielle locale en main-d’œuvre bon marché, issue principalement d’Algérie, de Tunisie et du Maroc, pour les secteurs extractifs et portuaires. En 1958, avec la fondation de l’Association des Centres de Préformation de Marseille (ACPM), le CANA réoriente ses missions vers l’accueil d’adolescents migrants, favorisant une insertion professionnelle adaptée à leur jeune âge et à leurs besoins éducatifs. À partir de 1974, l’afflux de femmes migrantes croît, marquant une diversification démographique ; en 1978, suite à l’ouverture d’un nouveau centre ACPM pour adolescents, le CANA se spécialise dans la formation professionnelle et l’insertion socio-économique et socioculturelle des adolescentes et jeunes femmes étrangères, intégrant ainsi le réseau ATOM dédié aux migrantes.
Le fonds d’archives du CANA, collecté en 2010 par l’association Ancrages et coté 246 J aux Archives départementales des Bouches-du-Rhône (dates extrêmes : 1952-1978), documente ces évolutions et résonne avec des ensembles complémentaires : 239 J (ACPM), 237 J (ATOM devenue ADRIM, fonds non classé), 1555 W (Service de liaison et promotion des migrants, Préfecture, 1975-1991), 2026 W et 1693 W (cabinets préfectoraux, 1946-2007 et 1945-1995, couvrant vie politique, économique et sociale). Ces archives révèlent un rôle pivot du CANA dans la gestion administrative des flux migratoires, entre encadrement étatique et initiatives associatives, dans une Marseille portuaire et industrielle.
Approche critique
Le CANA incarne les ambiguïtés d’une politique migratoire française des années 1950-1970, où l’accueil structuré masque une instrumentalisation de la main-d’œuvre coloniale pour soutenir l’industrialisation métropolitaine, au détriment d’une véritable intégration. Initialement conçu pour « préformer » des travailleurs nord-africains – souvent Algériens kabyles ou harkis post-1962 – dans des métiers pénibles (tuileries, chantiers navals), il perpétue des hiérarchies raciales et genrées, canalisant une population spoliée par la colonisation vers des emplois précaires. L’évolution vers les adolescents (1958) et les femmes (1974-1978) reflète les mutations démographiques post-indépendances, mais aussi une féminisation de la précarité migratoire, avec un encadrement socioculturel teinté d’assimilationnisme culturel.
Sur le plan archivistique, le fonds 246 J interroge les silences institutionnels : en lien avec les services préfectoraux (1555 W, 1693 W), il éclaire les négociations entre patronat, État et associations pour réguler les flux, souvent au prix de conditions d’hébergement rudimentaires et d’une surveillance accrue. Cette structure préfigure les foyer SONACOTRA, critiqués pour leur relégation sociale ; son orientation finale vers les femmes migrantes souligne une reconnaissance tardive des vulnérabilités genrées, mais sans remise en cause du système extractiviste migratoire qui a façonné l’urbanité marseillaise.
Auteurs et autrices
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CHABANI Samia
Coordinatrice générale d’Ancrages, journaliste Diasporik
Pour citer
(2025). “CANA, centre d’accueil des Nord-africains”, Mars Imperium (http://marseille.marsimperium.org/cana-centre-d-accueil-des-nord-africains), page consultée le 8 décembre 2025, RIS, BibTeX.