L’ilot Pasteur. Les bidonvilles
Contexte historique
Le bidonville de Pasteur à l’Estaque s’est établi sur un terrain en friche d’environ un hectare, anciennement occupé par des activités industrielles comme les tuileries et les briqueteries, dans un quartier ouvrier et industriel de Marseille. Implanté dès les années 1950, le bidonville s’est développé principalement autour de l’accueil de populations immigrées d’origine kabyle, issues des départements français d’Algérie, ainsi que de familles tunisiennes. Ce territoire précaire, situé sur une ancienne carrière d’argile surplombant la rade de Marseille, s’est construit dans des conditions difficiles avec des cabanons faits de matériaux de récupération, notamment des tuiles utilisées – un mode de construction adaptant les techniques traditionnelles d’habitat rudimentaire. Le plan du bidonville évoque celui d’une casbah, avec un réseau dense de ruelles étroites, chaque maison possédant une cour intérieure, et des fontaines publiques pour l’eau.
Durant la seconde moitié du XXe siècle, le bidonville Pasteur a accueilli des ouvriers précaires employés dans les industries voisines telles que les tuileries, les chantiers navals, les cimenteries et usines de chlore. Sa population vivait dans une grande insalubrité caractérisée par l’humidité, le manque d’hygiène et des maladies respiratoires fréquentes. Les loyers étaient modestes, mais partagés par plusieurs familles ou personnes vivant en colocation, dans un esprit de solidarité. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Allemands avaient détruit les baraques des populations espagnoles et italiennes, ce qui a permis aux Kabyles de s’installer durablement sur ce site. Le bidonville a été un lien social fort et un espace identitaire pour ces communautés nord-africaines à Marseille, souvent stigmatisées mais profondément attachées à ce quartier.
Approche critique
Le bidonville de Pasteur à l’Estaque illustre les héritages sociaux et politiques d’une industrialisation à forte composante coloniale et migratoire. Les populations originaires d’Afrique du Nord y ont été attirées par des contrats de travail très précaires, souvent négociés entre autorités coloniales et patronat marseillais, dans des usines aux conditions difficiles qui perpétuaient des rapports d’exploitation. Leur habitat informel a traduit une exclusion urbaine et une politique urbaine longtemps négligente, où l’insalubrité côtoyait une forte solidarité communautaire. Le bidonville reflète aussi une dynamique de relégation résidentielle des populations coloniales et post-coloniales, souvent perçues comme des réserves de main-d’œuvre à faible coût.
La résorption progressive de Pasteur, notamment dans les années 1980-1990, s’inscrit dans des politiques publiques de lutte contre l’habitat insalubre et un engagement au relogement direct sur place, voulu pour préserver le tissu social et éviter la dispersion des habitants dans des cités périphériques souvent stigmatisées. Ce processus a rencontré réticences et méfiance, les habitants craignant les effets déstructurants des déplacements forcés et attachés à leur ancrage local. Aujourd’hui, la disparition physique du bidonville rappelle les tensions entre mémoire et modernisation urbaine, ainsi que l’histoire souvent méconnue des bidonvilles liés aux migrations coloniales qui ont façonné l’urbanité marseillaise.
Auteurs et autrices
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CHABANI Samia
Coordinatrice générale d’Ancrages, journaliste Diasporik
Pour citer
(2025). “L’ilot Pasteur. Les bidonvilles”, Mars Imperium (http://marseille.marsimperium.org/l-ilot-pasteur-les-bidonvilles), page consultée le 8 décembre 2025, RIS, BibTeX.